Débat sur la troisième candidature : savoir raison garder/Réponse au Professeur Mary Teuw Niane Par Prof. Ismaila Madior Fall

« Laudateurs », c’est ainsi que le professeur Mary Teuw Niane qualifie, dans un post, ceux qui souhaitent ou appellent à une troisième candidature du Président Macky Sall. Pour lui, ces promoteurs d’une troisième candidature qui travailleraient que pour leur survie, sont de la même espèce que ceux qui avaient convaincu le Président Abdoulaye Wade à se représenter pour un troisième mandat. Ce dernier aurait perdu le pouvoir parce que parce que les Sénégalais ne voulaient pas d’un troisième mandat et soupçonnaient, en outre, un stratagème de transmission du pouvoir à son fils. Le professeur Niane met en garde contre « une violation de la parole donnée » qui pourrait exacerber ce sentiment fatal à tous les régimes au Sénégal : jeppi » qui rendra invisibles toutes les réalisations du régime. Sa conclusion est l’invalidation d’une troisième candidature au nom de l’éthique.

Ce post de mon collègue à l’Université et naguère au Gouvernement m’inspire quelques réflexions que je veux partager avec lui. J’ai bien conscience que l’atmosphère de terrorisme intellectuel ambiant dans le pays et la labellisation de tabou du sujet poussent beaucoup d’intellectuels à ne pas s’y exprimer pour ne pas se faire insulter copieusement. Connaissant et appréciant son respectable statut universitaire et son envergure intellectuelle qui dépasse le rayon de sa discipline académique, je suis à l’aise pour débattre avec lui dans la courtoisie et le respect mutuel.

Pourquoi et en quoi devrait-on systématiquement qualifier, pour ne pas dire taxer, les partisans d’une troisième candidature de laudateurs ? Ce manichéisme primaire, selon lequel les partisans d’une troisième candidature seraient de dangereux laudateurs et les adversaires celle-ci de preux chevaliers, est un procédé de stigmatisation voire de diabolisation de nos compatriotes qui se prononcent sur une question qui engage l’avenir du pays. N’avons-nous donc tant vécu que pour voir en un jour s’installer au Sénégal le diktat d’une pensée unique et totalitaire qui stigmatise toute personne osant se prononcer en faveur d’une troisième candidature du Président Macky Sall ? Il faut savoir raison garder et permettre à tous ceux qui veulent se prononcer sur cette question de le faire librement.

La question est banale et ouverte. Et chacun a la liberté de dire : je suis pour ou je suis contre. L’histoire politique de l’humanité en général et de l’Afrique en particulier montre l’existence d’arguments pour et d’arguments contre la limitation des mandats présidentiels. A titre d’illustration empirique, il y des régimes politiques en Afrique et ailleurs qui limitent et d’autres qui ne le font pas. Ce n’est pas parce qu’un pays limite à deux les mandats du Président qu’il est démocratique. A l’inverse, ce n’est pas parce qu’un pays ne limite pas les mandats qu’il n’est pas démocratique. Il n’y a pas de corrélation entre limitation des mandats et démocratie.

Notre pays a réussi une alternance institutionnelle (1981) et deux alternances démocratiques (2000 et 2012), sans limitation des mandats. Jamais la limitation des mandats n’a empêché un Président en fonction de présenter sa candidature. Jamais la non limitation des mandats n’a permis à un Président de rester en fonction alors que le peuple ne le voulait plus.

Vouloir ramener la totalité explicative des alternances au non-respect de la parole donnée, qui a engendré un sentiment fatal à tous les régimes au Sénégal (jeppi) relève d’une analyse subjective, n’est pas conforme à la réalité historique et n’est pas scientifiquement avéré. D’abord, la parole donnée, quoi que très importante, n’est pas le seul étalon de mesure de l’éthique d’un individu ? Ensuite, dire que le non-respect de la parole donnée a été fatal à tous les régimes au Sénégal est une contre-vérité.

Senghor n’en pas été victime : il a volontairement quitté le pouvoir après 20 ans de règne. Diouf non plus : il a fait lever le principe de la limitation des mandats en 1998 et a perdu le pouvoir en 2000. Si seul le « wakh wakhet » de Wade peut être convoqué sur ce registre, il ne serait pas, au surplus, suffisant pour expliquer sa perte du pouvoir. La théorie du changement en politique montre que la perte du pouvoir n’est jamais monocausale, mais toujours pluricausale. Le changement de régime est souvent la conjugaison de plusieurs facteurs de divers ordres, sans que l’on soit certain sur celui qui a été le plus déterminant.

Dire que Wade a été battu parce que les Sénégalais n’ont pas apprécié son option de se présenter en 2012 est une affirmation non démontrée. Qu’il ait perdu le pouvoir à cause du projet de transmission du pouvoir à son fils matérialisé par le projet de loi du 23 juin 2011 est, en revanche, admissible comme élément explicatif. Personne ne veut de dévolution monarchique du pouvoir dans notre pays. Mais, ceci n’a rien à voir avec un troisième mandat sur lequel l’opinion est, admettons-le, divisée.

En attendant que le Président Macky Sall se prononce, lui-même, sur la question et même après qu’il le fera, chaque Sénégalais devrait, aujourd’hui et demain, avoir le droit de donner son avis sur cette question, sans qu’on traite qui que ce soit de laudateurs ou de traîtres. D’ailleurs, que pensent réellement les Sénégalais sur la limitation des mandats présidentiels ? On constate bien qu’il y en a qui sont contre et d’autres qui sont pour ? Quelle est l’opinion majoritaire ? Etant agrégé, non pas de mathématiques pour calculer les préférences des Sénégalais mais de droit et de science politique, je préfère me référer aux outils de la sociologie politique de mesure de l’opinion avec lesquels je suis familier : les sondages et enquêtes d’opinions. Et je n’ai pas encore connaissance de sondages ou enquêtes y relatifs. Tout ce que j’en sais pour l’instant, c’est que je n’en sais rien.

Aussi, les mises en garde à l’endroit du Président Macky Sall sont dénuées de fondement et de sens. Ceux qui connaissent bien le Président et/ou le pratiquent au quotidien savent bien qu’il n’est pas « impressionnable » ou « intimidable » par des alertes ou des mises en garde et que le Bon Dieu l’a assurément doté de la capacité et de la clairvoyance à prendre, le moment venu, la décision que lui dictera son sens élevé de l’histoire ; laquelle correspondra, à coup sûr, avec la volonté générale des Sénégalais qu’il a toujours su décrypter avec justesse.

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