C’était une promesse du nouveau président et une mesure très attendue par les Sénégalais : la baisse des prix des denrées dites de première nécessité est entrée en vigueur lundi 24 juin. Le riz, l’huile ou encore le pain par exemple ont désormais des prix plus bas, fixés par l’État, comme l’avait promis Bassirou Diomaye Faye lors de son discours à la nation le 3 avril, juste après son élection. Si les Sénégalais ont salué cette mesure, ils attendent encore plus d’efforts du gouvernement pour soulager l’importante inflation que traverse le pays depuis quelques années.

« Il y avait beaucoup de doutes et d’inquiétudes sur la capacité du gouvernement à baisser les prix. C’est assez positif qu’ils aient réussi à le faire. Cela montre une certaine volonté politique du nouveau pouvoir à répondre aux attentes des Sénégalais », estime Mamadou Sy Albert, analyste politique qui officie sur la chaîne privée 7TV. 

Cette baisse des prix intervient alors que le gouvernement sénégalais fait face à de nombreux défis économiques. La balance commerciale du pays est déficitaire à hauteur de 4 000 milliards de francs CFA (environ 6 milliards d’euros), selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. En outre, la dette du Sénégal, estimée à plus de 80 % du PIB, dépasse les normes requises par l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA), où elle ne doit pas dépasser les 70 %.

Pour sortir de ce contexte économique délicat, le pays compte sur ses ressources en hydrocarbures dont l’exploitation a officiellement démarré début juin.

Le président Bassirou Diomaye Faye s’est lui-même rendu mardi 25 juin sur la plateforme de Sangomar, au large des côtes sénégalaises, dont la production de pétrole pourrait booster la croissance du pays, attendue à 10% en 2025, selon le FMI.

Répartition des tâches

Bassirou Diomaye Faye doit en grande partie son élection à la tête du pays à Ousmane Sonko, principal opposant du président sortant Macky Sall. Inéligible lors de la dernière présidentielle après une condamnation pour diffamation, Ousmane Sonko avait jeté son dévolu sur Diomaye, son bras droit à la tête du parti Pastef-Les Patriotes pour le remplacer. Une fois installé au palais présidentiel de Dakar, Diomaye a rendu la politesse à Sonko en le plaçant à la tête du gouvernement.

« Pour le moment, il y a une entente entre les deux hommes », analyse Mame Ngor Ngom, éditorialiste réputé de la presse sénégalaise. « Il y a une division du travail entre eux. On sent que sur le plan purement politique Ousmane Sonko est présent. C’est lui qui va au charbon. C’est lui qui répond. C’est lui qui critique. C’est lui qui est critiqué. Par contre, le président Diomaye est considéré comme étant très sympathique, concentré sur son travail et conciliant. Ce sont deux personnalités différentes, deux styles différents qui sont à la tête du pays », poursuit-il.

Continuant d’endosser son statut de chef du parti au pouvoir, Ousmane Sonko s’est distingué ces dernières semaines par deux sorties politiques très remarquées. La première lors d’une conférence à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar avec son invité et allié Jean-Luc Mélenchon, en s’attaquant notamment à Emmanuel Macron. La deuxième, le 9 juin, face aux jeunes de son parti sur l’esplanade du Grand Théâtre de Dakar, avec des déclarations incendiaires sur ses détracteurs et sur la presse. Une sortie qui lui a valu une flopée de critiques chez une partie de l’opinion, de la classe politique et de la société civile. 

« Ousmane Sonko est en train d’assumer sa radicalité. Il a toujours agi ainsi en étant opposant. Il danse toujours au bord du précipice », commente Mame Ngor Ngom. Mais selon Mamadou Sy Albert la posture d’Ousmane Sonko protège Bassirou Diomaye Faye, épargné jusqu’à présent par les critiques. « L’opposition n’a pas aujourd’hui d’arguments pour attaquer Diomaye. Il est serein et inclusif » ajoute-t-il.

Vers des législatives anticipées ?

Selon l’analyste, le duo Sonko-Diomaye dans sa configuration actuelle ne pourra être viable tout le long du quinquennat. « Ces trois premiers mois montrent qu’Ousmane Sonko ne pourra pas durer au poste de Premier ministre. Je ne le vois pas faire plus de deux ans et demi. Ce serait suicidaire qu’il reste cinq ans à ce poste. Cela va l’user politiquement. Je vois plutôt Ousmane Sonko diriger sa coalition lors des prochaines législatives et sa destination serait l’Assemblée nationale », se projette Mamadou Sy Albert.

Si aucune annonce n’a été encore été faite sur de possibles élections législatives dans les prochains mois, beaucoup d’observateurs de la scène politique ne doutent pas de cette perspective. Actuellement, Bassirou Diomaye Faye n’a pas une majorité à l’Assemblée nationale, ce serait donc dans son intérêt de renouveler le parlement, estime Mame Ngor Ngom. La Constitution du Sénégal permet au président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale deux ans après son installation. La dernière législature est entrée en fonction en septembre 2022, Diomaye pourra ainsi convoquer de nouvelles législatives dès septembre 2024.

Le Pastef ne s’est pour l’heure pas prononcé sur sa stratégie par rapport à cette éventualité. Quant à Ousmane Sonko, il semble temporiser : le Premier ministre n’a pas encore fait sa déclaration de politique générale (DPG) comme c’est l’usage, malgré la pression de la nouvelle opposition qui l’invite à s’exprimer au plus vite devant les députés. Jeudi, Guy Marius Sagna, député et allié d’Ousmane Sonko, a même conseillé au chef du gouvernement de ne pas se présenter à l’Assemblée nationale, arguant que le règlement intérieur du parlement sénégalais ne reconnaissait pas le Premier ministre après la suppression du poste en 2019 par l’ancien président Macky Sall. Ousmane Sonko l’a suivi et publié sur Facebook : « Je ne tiendrai ma DPG devant cette Assemblée qu’une fois que la majorité parlementaire se sera amendée en réinscrivant dans le règlement intérieur l’ensemble des dispositions relatives au Premier ministre ».

Trois mois après la présidentielle du 24 mars 2024, la scène politique sénégalaise reste globalement dans l’expectative face à ce duo inédit à la tête du pays. Les deux anciens inspecteurs des impôts tentent cahin-caha de matérialiser leurs promesses électorales. Dialogue national pour réformer la justice, lutte contre la corruption, pression fiscale sur les entreprises, quête d’une plus grande souveraineté à l’international : ils tentent d’imprimer leur marque à la tête du Sénégal. Après l’euphorie drainée par l’élection de Bassirou Diomaye Faye, premier opposant dans l’histoire du Sénégal à gagner une présidentielle au premier tour, les Sénégalais attendent des résultats concrets : une amélioration durable de leurs conditions de vie, le recul du chômage des jeunes et de la pauvreté, un meilleur système éducatif et sanitaire… la liste est longue.

France24

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