Le président de la République s’adresse aux Français, après le résultat du second tour des élections législatives, dans une lettre.
Même depuis Washington où il s’est rendu deux jours pour un sommet de l’Otan, Emmanuel Macron garde un fil tendu dans le brouillard de l’après-législatives. Sans intervenir en direct, mais en donnant le temps aux Français de lire son argumentaire par une lettre adressée via la presse régionale. La missive que le chef de l’État vient d’envoyer est sans surprise. Elle fait d’abord le constat, trois jours après les résultats dans les urnes, que « personne ne l’a emporté« .
Observant les 11 millions de voix pour le Rassemblement national, mais aussi « un refus qu’il accède au gouvernement« , le chef de l’État renvoie tout le monde dos à dos. « Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante (…) Divisées au premier tour, unies par les désistements réciproques au second, élues grâce aux voix des électeurs de leurs anciens adversaires, seules les forces républicaines représentent une majorité absolue« . Un raccourci qui s’inscrit dans la ligne du front républicain et permet d’en poursuivre la logique.
Emmanuel Macron appelle donc à un « rassemblement » des forces politiques « se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française« . Et demande « un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle« .
Voici sa lettre
Chères Françaises, chers Français, Les 30 juin et 7 juillet derniers, vous vous êtes rendus aux urnes en nombre pour choisir vos députés. Je salue cette mobilisation, signe de la vitalité de notre République dont nous pouvons, me semble-t-il, tirer quelques conclusions.
D’abord, il existe dans le pays un besoin d’expression démocratique. Ensuite, si l’extrême
-droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement. Enfin, personne ne l’a emporté. Aucune force politique n’obtient
seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires. Divisées au premier tour, unies par les désistements réciproques au second, élues grâce aux voix des électeurs de leurs anciens adversaires, seules les forces républicaines représentent une majorité absolue. La nature de ces élections, marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir, les oblige à bâtir un large rassemblement. Président de la République, je suis à la fois protecteur de
l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions et du respect de votre choix. C’est à ce titre que je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’Etat
de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager
un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays. Les idées et les programmes avant les postes et les personnalités : ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées,
d’un
projet pragmatique et lisible et prendre en compte les préoccupations que vous avez exprimées au moment des élections. Elle devra garantir la plus grande stabilité institutionnelle possible. Elle rassemblera des femmes et des hommes qui, dans la tradition de la Vème République, placent leur pays au-dessus de leur parti, la Nation au-dessus de leur ambition. Ce que les Français ont choisi par les urnes
–
le front républicain, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes. C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun.
D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine. Plaçons notre espérance dans la capacité de nos responsables politiques à faire preuve de sens de la concorde et de
l’apaisement dans votre intérêt et dans celui du pays. Notre pays doit pouvoir faire vivre, comme le font tant de nos voisins européens, cet esprit de dépassement que j’ai toujours appelé de mes vœux. Votre vote impose à tous d’être
à la hauteur du moment. De travailler ensemble. Dimanche dernier, vous avez appelé à
l’invention d’une nouvelle culture politique française. Pour vous, j’y veillerai. En votre nom, j’en serai le garant. En confiance.
Emmanuel MACRON
Chacun y verra une volonté d’écarter le RN, mais aussi les Insoumis qui tentent d’imposer leurs vues à gauche. Il souligne que c’est « à la lumière de ces principes » qu’il décidera de la nomination du Premier ministre. Il donne ainsi du temps à la réflexion, là où les gauches font tout pour lui proposer un casting dès ce vendredi et tente, ainsi, de rester le maître des horloges qu’il n’est plus vraiment.
Il laisse surtout un délai à Gabriel Attal pour « gérer les affaires courantes » et au bloc centriste pour nouer des alliances avec la droite et proposer un gouvernement consensuel, capable de couper l’herbe sous le pied d’une gauche qui crie déjà au « détournement des institutions« . Il tente également de maintenir son idée du « dépassement« , là où ressurgissent les anciens clivages. Ce qui est loin d’être gagné.
En prenant ainsi les Français à témoin, le président de la République joue sur la hauteur de vue et un recul qu’il matérialise par son voyage aux États-Unis. Sa lettre rappelle évidemment celle qu’il avait écrite six jours avant le premier tour des législatives. Déjà dans les journaux régionaux, il avait assumé la dissolution en expliquant qu’elle « était le seul choix possible« . Puis il avait indiqué, dans une forme de « je vous ai compris » numérique que, « oui la manière de gouverner doit changer profondément« .
Un message qu’il avait fait passer à d’autres occasions, notamment après la crise des gilets jaunes. « Je crois que j’ai compris beaucoup de choses« , avait-il assuré sur le plateau de France 2. Cherchant toujours « la concorde » et « l’apaisement« , Emmanuel Macron prend un risque : celui de ne pas être entendu et de voir la situation se tendre, alors que certains, à l’image du député insoumis Adrien Quattenens, appellent déjà à « marcher » vers Matignon.
Laprovence