Le procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI), Mandiaye Niang, assure que les enquêtes sur les crimes commis en Côte d’Ivoire suite aux violences post-électorales perpétrées entre décembre 2010 et fin mai 2011, sont toujours en cours. Le magistrat sénégalais espère néanmoins relancer une coopération judiciaire très fragile.
Le gouvernement de Côte d’Ivoire s’est-il réjouit trop vite de l’annonce de la Cour pénale internationale ? Dans son budget prévisionnel 2025, un document administratif destiné à ses États membres, le greffe de l’institution a signalé la fermeture à venir du bureau de la Cour à Abidjan. Mi-septembre, le gouvernement ivoirien avait relayé l’information : « Si le bureau de la CPI estime qu’il a fini sa mission ici et qu’il doit fermer, nous ne pouvons que nous en réjouir », avait déclaré son porte-parole, Amadou Coulibaly, à l’issue d’un Conseil des ministres.
La Côte d’Ivoire n’en a pourtant pas tout à fait fini avec la CPI. L’enquête du bureau du procureur est toujours en cours, a ainsi expliqué Mandiaye Niang à RFI. « Nous maintenons notre cap, qui est l’enquête sur les autres factions », a dit le procureur adjoint.
C’est le second volet des investigations de la CPI. Il a démarré en 2016, peu après l’ouverture du procès de l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, à La Haye aux Pays-Bas, où se trouve le siège de la CPI. Il vise l’autre camp au conflit, la rébellion des Forces nouvelles de Guillaume Soro, soutien du président Alassane Ouattara à l’époque. Le chef rebelle est ensuite devenu Premier ministre puis président de l’Assemblée nationale. Devenu l’adversaire du chef de l’État, il a pris l’exil en 2019.
Depuis, l’ancien ministre a été condamné par contumace à plusieurs reprises par la justice ivoirienne. Mais côté CPI, ce second volet de l’enquête patine depuis des années. En cause ? La coopération, explique le procureur adjoint.
Parcours d’obstacles et coopération
« L’enquête est une activité exploratoire, souligne Mandiaye Niang. On explore, on suit des pistes, on identifie des gens. Mais quant à voir ces gens venir, coopérer avec nous, nous donner les preuves, quant à avoir accès à certaines informations, que ce soient des comptes-rendus téléphoniques ou autre chose (…) tout cela est un véritable parcours d’obstacles ». Les enquêteurs de la CPI n’ont pas les pouvoirs de police qui leur permettraient de perquisitionner, de lancer des sommations à comparaître et d’arrêter les suspects. « Nous sommes une autorité d’enquête lointaine », explique Mandiaye Niang et « nous devons compter sur la coopération des États ». Une coopération aléatoire, même si elle est obligatoire pour les États qui ont ratifié le traité de la Cour, comme l’a fait la Côte d’Ivoire en 2013.
À l’époque des investigations contre Laurent et Simone Gbagbo (l’ex-première dame du pays) et contre Charles Blé Goudé (ministre ivoirien de la Jeunesse au moment des faits), les autorités ivoiriennes « nous avaient beaucoup aidé », rappelle le magistrat sénégalais. Le bureau du procureur avait ouvert le premier volet de son dossier Côte d’Ivoire quelques semaines après la fin des violences qui ont secoué le pays entre décembre 2010 et mai 2011.
Inculpés pour crimes contre l’humanité, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été acquittés en janvier 2019. Suite à la relaxe des deux hommes, le procureur avait retiré le mandat d’arrêt émis contre Simone Gbagbo. Cette dernière a été condamnée à 20 ans de prison par un tribunal d’Abidjan, pour atteinte à la sécurité de l’État, mais a finalement été amnistiée en 2018. « Nous sommes astreints à une certaine rigueur », dit Mandiaye Niang. Les juges attendent des preuves solides, et avec l’affaire Gbagbo, le bureau du procureur a déjà essuyé un échec cuisant.
Relancer la coopération
Depuis le début, le second volet des investigations est bien plus chaotique. « Nous continuons à avoir accès au territoire », précise néanmoins le magistrat sénégalais qui compte relancer la coopération avec Abidjan. « Nous envisageons de reprendre langue avec les autorités, pour voir dans quelle mesure nous pouvons rendre encore plus fluide cette coopération », dit avec prudence Mandiaye Niang. Il espère pouvoir se rendre sur place dans les prochaines semaines. Le bureau du procureur cherche aussi à obtenir la coopération de l’ONU, notamment pour interroger « des anciens contingents des Nations unies ». La Cour réclame-t-elle aussi la coopération de la France, qui avait déployée sur place la force Licorne, une opération militaire en Côte d’Ivoire de 2002 à 2015 ? Le procureur adjoint est resté vague mais a indiqué que comme pour toute investigation, certains actes se déroulent hors du territoire concerné.
Les cibles du bureau du procureur sont confidentielles, et M. Niang n’a pas indiqué quand les mandats d’arrêt seraient délivrés. Il dit néanmoins vouloir clore l’enquête dans le courant de l’année 2025. Cela n’empêchera pas les enquêteurs de poursuivre leurs investigations, mais elles seront circonscrites aux cibles déjà définies.
Les potentiels suspects seront-il ensuite jugés à La Haye ou à Abidjan ? La CPI n’intervient qu’en dernier recours, si un État n’a pas les moyens logistiques ou la volonté politique de conduire les procès sur son sol. Depuis des années, le pouvoir ivoirien assure vouloir juger à domicile. Mais si la Côte d’Ivoire demande à la Cour de se dessaisir, elle devra démontrer qu’elle conduit elle-même des poursuites contre les mêmes personnes que celles visées par la CPI, et pour les mêmes faits. « Si cela arrive, c’est tant mieux, commente le procureur adjoint. Mais il y a eu des lois d’amnistie et il y a eu des déclarations qui ne semblent pas indiquer que les cibles qui nous intéressent font l’objet d’enquêtes ».
Rfi