Si la Russie a été suspendue hier du Conseil des droits de l’Homme de l’Onu, le Sénégal s’est abstenu de voter cette résolution en la jugeant précipitée. Pour notre pays, il fallait attendre les conclusions de l’enquête de la Commission d’enquête internationale sur les allégations de violation des droits de l’Homme en Ukraine.
L’Assemblée générale des Nations unies a voté hier, à New York, pour la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’Homme (Cdh) de l’Onu, dont le siège est à Genève. Si 93 Etats membres ont soutenu cette mesure, elle a été par contre rejetée par 24 pays notamment par plusieurs nations africaines comme le Mali, la Centrafrique, partenaires militaires de Moscou, l’Algérie, le Burundi, le Congo, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Gabon, le Zimbabwe, l’Algérie et aussi la Chine, l’Iran, la Syrie, la Biélorussie. Et 58 pays se sont abstenus parmi lesquels le Sénégal, le Cap-Vert, le Cameroun, l’Egypte, l’Eswatini, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Kenya, le Lesotho, le Madagascar, le Mozambique, le Niger, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Soudan, le Togo, la Tunisie, l’Ouganda et la Tanzanie et aussi l’Inde et le Brésil.
En coulisses, la question de la pertinence de la procédure se pose clairement aux yeux du Sénégal et d’autres pays africains. Après avoir voté en faveur de la résolution du Cdh du 4 mars 2022 sur la situation en Ukraine et portant, notamment, la mise en place d’une Commission d’enquête internationale sur les allégations de violation des droits de l’Homme dans le pays consécutivement à la guerre, notre pays estime que cette saisine est précipitée. «Nous estimons que c’est la publication des conclusions de cette commission qui nous donnera une vue complète de la nature et de l’ampleur des violations alléguées. Cette vue complète nous donnera par conséquent la mesure exacte des sanctions à envisager, relate Cheikh Niang. Or, la présente résolution décide de mesures de sanctions sans que la commission d’enquête que nous avons mise en place n’ait rendu ses conclusions, anticipant ainsi sur le travail attendu d’elle.» Face à cette situation, Dakar a décidé de s’abstenir de voter en faveur ou non de la suspension des droits de membre de la Fédération de Russie au Conseil des droits de l’Homme, pour rester cohérent avec sa propre démarche, dans l’attente des résultats de la Commission d’enquête internationale sur les allégations de violation des droits de l’Homme en Ukraine. Cette procédure a été déclenchée à la suite de la diffusion de vidéos et photos montrant les massacres de civils perpétrés dans plusieurs villes ukrainiennes par l’Armée russe, dont la ville de Boutcha au nord-ouest de Kiev. «A l’instar de la communauté internationale, le Sénégal reste profondément préoccupé par le lourd bilan de la guerre en Ukraine qui a déjà occasionné de nombreux morts, ainsi que des millions de réfugiés et de déplacés. En tout temps et en tout lieu, la guerre est une faillite pour l’humanité. Le Sénégal est pour la paix en Ukraine, au nom d’une humanité sans frontières», note le diplomate sénégalais. Il rappelle que les pays africains «sont des victimes collatérales de cette crise de portée mondiale, en raison de ses conséquences particulièrement graves sur nos économies et populations». Par conséquent, le «Sénégal est pour la désescalade, pour l’arrêt immédiat des hostilités en Ukraine et la poursuite des négociations en vue de parvenir à une solution pacifique et durable de la crise».
Aujourd’hui, ce vote du Sénégal, qui avait opté pour la neutralité avant de soutenir certaines résolutions contre Moscou, montre que sa position sur ce conflit n’est pas figée. Elle n’est pas soumise aux orientations de ses partenaires historiques comme les Américains et les Européens, qui ne lui dictent ni sa diplomatie ni sa politique intérieure. En analysant ses positions sur le conflit, notre pays, qui assure la présidence de l’Union africaine, montre que sa doctrine et son histoire ne lui permettent pas d’être à la solde d’un pays, surtout qu’il entretient des relations diplomatiques avec les deux pays en conflit.
l’Afrique boycotte la résolution
La position sénégalaise est identique à celle des autres pays du continent, qui n’ont quasiment pas appuyé cette résolution. Si certains se sont abstenus ou étaient contre la mesure, des Etats comme le Bénin, le Burkina, le Djibouti, la Guinée équatoriale, la Guinée, la Mauritanie, le Maroc, le Rwanda, la Somalie, la Zambie, n’ont pas participé hier au vote à New York. Il faut savoir qu’avant la Russie, seul un Etat membre avait été exclu du Conseil des droits de l’Homme à l’issue d’une procédure similaire : il s’agit de la Libye du Colonel Mouammar Kadhafi en 2011, pour les violences perpétrées à l’encontre des opposants à son régime.
Depuis le début de l’invasion russe, qui a jeté sur les routes de l’exil des millions d’Ukrainiens, plusieurs organismes onusiens ont été saisis par les Occidentaux. Le Sénégal, optant pour le non-alignement, avait imposé de prendre en compte la protection des Africains fuyant l’Ukraine, pour que le Groupe africain accepte de soutenir le texte condamnant l’opération russe. Désormais, la position de non-aligné est remise dans les tiroirs.
Le 2 mars dernier, le Sénégal avait fait partie des pays qui n’ont pas voulu condamner ce que l’on appelle «l’agression de l’Ukraine par la Fédération russe». Son chef d’Etat étant actuellement à la tête de l’Union africaine, le Sénégal, tout en réaffirmant sa tradition de règlement des conflits par la voie diplomatique, n’avait pas voulu prendre position pour ou contre une quelconque partie, s’agissant des deux pays liés par les frontières et par une histoire commune datant de plusieurs siècles.
𝗟𝗲 𝗾𝘂𝗼𝘁𝗶𝗱𝗶𝗲𝗻