Réprimés dans la rue, les jeunes partisans de Sonko profitent des tournois de football amateurs, extrêmement populaires dans le pays, pour lui clamer leur soutien. Un phénomène qui dépasse aujourd’hui les frontières du ballon rond.
Jeudi 21 septembre, au stade Amadou-Barry dans la commune de Guédiawaye en banlieue dakaroise, dans le cadre des navétanes, du nom de ces championnats amateurs très populaires qui se déroulent pendant la saison des pluies, en marge des ligues professionnelles.
Le 12 septembre, Bamba Dieng a quitté son boulot en avance pour ne pas rater le coup d’envoi entre les Lions du Sénégal et l’équipe nationale algérienne, à domicile, au nouveau stade de 50 000 places de Diamniadio. «Juste après l’hymne national, des milliers de supporteurs, notamment dans les tribunes populaires, ont commencé à chanter “Sonko, Namenala”, ce qui veut dire, “Sonko, vous nous manquez”», raconte ce peintre dans le bâtiment de 33 ans, qui a lui-même donné de la voix.
«Ce chant, c’est une sorte de révolte pour exprimer notre mécontentement envers l’Etat, ajoute-t-il. Car dans notre pays, tu peux te faire arrêter pour un concert de casseroles ou parce que tu portes un tee-shirt à l’effigie d’Ousmane Sonko.» Farouche opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko, dont le rapport de force avec le pouvoir tient le Sénégal en haleine depuis plus de deux ans, est emprisonné depuis fin juillet sous divers chefs d’inculpation, dont appel à l’insurrection. Son parti, le Pastef, a été dissous pour les mêmes raisons. Fin août, sa condamnation à deux ans de prison dans une affaire de mœurs a été définitivement confirmée.
Réprimés dans la rue, ses partisans clament désormais leur soutien dans les enceintes sportives. Ce phénomène, baptisé «sonkorisation des stades», a émergé il y a quelques semaines lors d’un match des navétanes – du nom de ces championnats amateurs ultrapopulaires qui se déroulent aux quatre coins du pays, pendant la saison des pluies, en marge des ligues professionnelles. Et plus précisément au stade Amadou-Barry, lové au cœur de la commune populaire de Guédiawaye, en banlieue dakaroise.
Chanson fédératrice
«C’était à la fin du mois d’août, les supporteurs de l’ASC Book Joom, une équipe de la quatrième zone du quartier, ont commencé à scander le nom de Sonko, de manière totalement spontanée», rejoue Bissique Gomis, bracelet aux couleurs sonkistes au poignet et sandales jaune vif aux pieds, en regardant son équipe jouer du coin de l’œil.
«En réponse, les policiers sont montés dans les tribunes, et ça a dégénéré : des bombes lacrymo ont été lancées d’un côté, des pierres de l’autre, les supporteurs ont envahi la pelouse et l’arbitre a sifflé la fin du match», poursuit l’étudiant en master, en déambulant entre une vendeuse ambulante de café touba et des stands de pain-thon, la nourriture prisée par les amateurs de ballon rond. «Le lendemain, les supporteurs d’une autre équipe, l’ASC Guney Tey, ont repris la chanson avec beaucoup de vigueur. Les policiers n’ont pas osé répliquer, car ils viennent de l’un des quartiers les plus défavorisés de Guédiawaye. Les images ont tourné en boucle sur les réseaux sociaux, ensuite, le phénomène a touché tous les stades du pays.»
Profil
La chanson entonnée en l’honneur d’Ousmane Sonko aurait le mérite de fédérer les supporteurs de différents bords – une gageure alors que les matches des navétanes, empreints d’intérêts politiques, de mysticisme et de rivalité entre quartiers, sont régulièrement émaillés de violence. «Mais il y a davantage de tensions avec les forces de l’ordre qu’auparavant», regrette Bissique Gomis. En témoigne la nervosité d’un policier, à quelques mètres de lui, alors qu’une tribune entame le chant controversé, au rythme des tambours. Au loin, une poignée d’enfants ont escaladé les murs pour regarder les matchs gratuitement. Les trois minarets d’une mosquée prolongent le décor, dans les couleurs contrastées de la saison des pluies.
Malgré les interdictions, les amendes et les menaces de suspension – dans la région de Fatick, un tournoi dénommé «Coupe du président Sonko» a été interdit par la sous-préfecture –, le phénomène de sonkorisation s’est propagé, jusqu’à dépasser les frontières du football, que ce soit à l’occasion de mariages, de retours de plage ou de rites religieux. «Si la police n’avait pas réagi de cette manière, en frappant et en gazant des supporteurs, est-ce que ça aurait pris cette ampleur ?» s’interroge Demba Diop, président d’honneur de l’association sportive et culturelle de Guédiawaye, par ailleurs médecin ophtalmologue.
«Contestation pacifique»
Pour le membre de la diaspora Chérif Sadio, directeur du développement du SFC Neuilly-sur-Marne, en banlieue parisienne, la force de frappe numérique des partisans du Pastef a assurément participé au succès du phénomène: «Ousmane Sonko est le candidat le plus populaire à la fois sur le terrain, mais aussi sur les réseaux sociaux. De nombreux influenceurs lui consacrent des live. De fait, les vidéos sont vite devenues virales», estime-t-il.
La dernière en date ? La «sonkorisation» d’un spectacle du chanteur sénégalais Youssou N’Dour, à Paris, le 20 septembre. «Libérez Sonko !» ont scandé des partisans du leader de l’opposition, dans une vidéo qui a fait le buzz. «Tout ça vient du fait que les droits à manifester ont été réduits à néant. Les gens n’ont aucun moyen d’exprimer leur colère. Je pense que d’autres moyens de contestation pacifique vont naître d’ici l’élection présidentielle de février 2024», poursuit Chérif Sadio.
Il y a quelques jours, les avocats d’Ousmane Sonko ont déposé des requêtes auprès de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour, entre autres, rétablir ses droits politiques. L’opposant, même emprisonné, affaibli par une grève de la faim, et radié des listes du fichier électoral sénégalais, n’a pas fini de défrayer la chronique.