La décision de la Cour suprême sur l’étendue de l’immunité dont bénéficient les présidents américains, rendue lundi, est perçue comme un cadeau offert à Donald Trump. L’interprétation proposée par les neuf juges a ému le camps démocrate qui y voit le risque de justifier un exercice dictatorial du pouvoir aux États-Unis. À raison ?
Une « menace pour la démocratie », une « feuille de route pour instaurer une dictature [aux États-Unis]« . La décision de la Cour suprême américaine sur l’immunité présidentielle dans l’affaire « Trump v. États-Unis », rendue lundi 1er juillet, est restée en travers de la gorge des opposants à l’ex-président américain. Presque autant, et même plus pour certains, que le jugement des neuf juges revenant, en juin 2022, sur la protection fédérale du droit à l’avortement aux États-Unis.
Par une majorité de six contre trois, la Cour suprême américaine a offert une large victoire à Donald Trump sur l’épineuse question de l’immunité d’un président pour les actes potentiellement illégaux commis durant son mandat. Le candidat républicain à la présidentielle de novembre 2024 s’est d’ailleurs félicité de cette décision qualifiée d’historique par les médias américains.
« Un roi au-dessus des lois » ?
Quentin Fulks, directeur adjoint de la campagne présidentielle de Joe Biden, le président sortant et rival de Donald Trump, frappait rageusement du poing sur la table en martelant devant des journalistes « immunité, immunité et encore immunité, la Cour suprême vient de donner à Donald Trump les clés de la dictature », raconte la BBC.
Très remontée contre ses collègues conservateurs, la juge suprême démocrate Sonia Sotomayor a écrit dans un avis minoritaire à la décision que le président américain risquait dorénavant « d’être l’équivalent d’un roi au-dessus des lois ».
L’affaire « Trump v. États-Unis » fait-elle réellement basculer les États-Unis d’une république à une potentielle dictature pour l’ex-magnat de l’immobilier multirécidiviste ?
Épineuse question qui divise jusqu’aux spécialistes. « Les affirmations selon lesquelles le président américain peut dorénavant faire ce qu’il veut sont très exagérées », assure ainsi Thomas Gift, directeur du Centre de recherche sur la politique nord-américaine à l’University College de Londres. « Cette décision permet à un président américain d’agir beaucoup plus facilement en dictateur », martèle, de son côté, Brian Christopher Jones, spécialiste de droit constitutionnel à l’Université de Liverpool et auteur du blog « Law and democracy ».
La seule certitude dans cette affaire, selon les experts interrogés par France 24, est qu’il y avait un besoin de clarification. « La jurisprudence américaine n’était pas claire concernant les poursuites pouvant être engagées contre les présidents américains. La Cour suprême avait ainsi très mal défini la question de l’immunité pour les actes effectués en exercice », souligne Jacob Maillet, spécialiste du droit constitutionnel nord-américain et enseignant à l’université Paris Descartes.
Ce sont les avocats de Donald Trump qui ont demandé aux juges américains de préciser ce point constitutionnel. Ils affirmaient que les présidents américains devaient avoir une « immunité totale ».
Délicate « présomption d’impunité »
Sans aller jusque-là, les juges de la Cour suprême ont tout de même « augmenté la protection judiciaire dont profite un président américain en exercice », estime Emma Long, spécialiste de l’histoire de la Cour suprême américaine à l’université East Anglia à Norwich (Angleterre).
La Cour a posé « un principe clair qui est celui de l’immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions constitutionnelles », explique Jacob Maillet. Rien d’exceptionnel à cela, estime Emma Long : « les membres du Congrès bénéficient déjà d’une telle immunité pour leurs dires et actions dans l’exercice de leurs fonctions. Il n’y avait pas de raison pour que le président ne soit pas couvert par une protection similaire ».
Pour Brian Christopher Jones, ce premier principe est simplement la transposition en droit d’une tradition politique. « Il y a une sorte de convention qui veut qu’un président en exercice ne va pas s’en prendre à un ancien locataire de la Maison Blanche pour ce qu’il a fait. C’est ainsi, par exemple, que Barack Obama a choisi de ne pas poursuivre George W. Bush pour la guerre en Irak », souligne ce spécialiste.
Ainsi, cette nouvelle jurisprudence confirme qu’il serait, par exemple, impossible de poursuivre un ancien président pour une grâce accordée à quelqu’un.
Tout aussi évidente, pour Brian Christopher Jones, est la règle posée par les juges qu’un président ne bénéficie pas de l’immunité pour ses actes privés. Il ne pourrait donc pas se cacher derrière son statut présidentiel s’il venait à tuer son voisin…
Mais les six juges conservateurs apportent ensuite une précision concernant les actes pris « dans le périmètre extérieur des responsabilités officielles du président ». « Le diable se cache dans ce distinguo », estime Jacob Maillet.
Pour la Cour suprême, le président bénéficie d’une « forte présomption d’immunité » concernant les actions effectuées dans ce cadre. Mais quels sont les contours de ce cadre ? C’est tout le problème. « Le périmètre extérieur est une notion subjective et ambiguë », reconnaît Thomas Gift.
Pour les opposants à Donald Trump, c’est la porte ouverte à tous les pires scénarios. Ils estiment que les présidents pourraient ainsi être immunisés contre les poursuites pour avoir accepté un pot de vin en échange d’une grâce présidentielle. Ou alors pour avoir ordonné au ministre de la Justice de lancer des poursuites contre un rival politique.
Trump exonéré de tout ?
Ce n’est pas non plus un blanc sein total offert au locataire de la Maison Blanche. « La présomption d’immunité signifie qu’il est dorénavant à la charge du procureur de démontrer que dans tel ou tel cas le président n’est pas protégé », analyse Emma Long. Autrement dit, les tribunaux vont avoir la « lourde charge de préciser les contours de cette nouvelle jurisprudence », ajoute-t-elle. Selon elle, cela risque d’amplifier une concentration des pouvoirs entre les mains des juges, une dérive déjà à l’œuvre dans le système américain.
« Dans l’absolu, ce n’est pas grave car un président ‘normal’ ne va pas chercher tous les matins à commettre un acte potentiellement illégal en espérant être protégé par l’immunité. Mais le problème est qu’il y a Donald Trump », résume Thomas Gift.
L’ex-président a d’ailleurs déjà commencé à affirmer que ce verdict l’exonérait de tout. « On va rapidement pouvoir avoir une idée de la portée de cette décision puisque Donald Trump s’en prévaut pour demander l’annulation de sa condamnation pour avoir acheté le silence de Stormy Daniels (ex-actrice de films pornographiques, NDLR) durant la campagne de 2016″, note Emma Long.
Il n’était pourtant pas encore président. Donald Trump estime cependant qu’il est protégé puisqu’il n’a remboursé Michael Cohen – son avocat qui a payé directement Stormy Daniels – qu’en février 2017… alors qu’il était déjà président.
L’existence même de ces zones grises couverte par une « présomption d’immunité » serait la preuve pour les opposants à Donald Trump que la très conservatrice Cour suprême a cherché à protéger le président sortant. Ils craignent notamment qu’il l’invoque pour faire annuler les poursuites pour son rôle dans l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021.
Il pourrait arguer que son discours et ses tweets de l’époque ne peuvent être utilisés contre lui. Ils seraient couverts par l’immunité puisque le président ne faisait qu’exercer sa fonction officielle de garant de l’intégrité du processus électoral qui, à ses yeux, étaient faussé à cause des « fraudes » électorales.
Rien ne dit que les cours américaines vont interpréter la décision de la Cour suprême dans le sens souhaité par Donald Trump. Mais une chose est sûre : « cette décision va ralentir le cours des actions en justice intentées contre Donald Trump et aucun des procès ne se tiendra avant l’élection de novembre », assure Thomas Gift.
France24